jeudi 30 avril 2015

LES IMPÔTS



Devoir, parce que la vie n'est pas qu'une partie de plaisir, appeler le service des impôts. Retarder ce moment. Et puis stopper net sa procrastination. Composer le 08 10 46 76 87 et s'entendre dire par une voix de femme enregistrée - la même que Pole Emploi, du service clients de Véolia, du service réservation d'UGC, d'Air France... - que nous sommes en position 10. Position de quoi ? Ne pas chercher à savoir et puis se dire que le cynisme n'est pas de mise et attendre calmement son tour "entre 1 et 100 minutes". Passer en un cycle de répondeur de la position 10 à la position 2  et apprendre non sans jubilation que l'attente est ré-estimée "entre 1 et 2 minutes". Entendre une sonnerie, deux, trois et à la quatrième quelqu'un répond et demande en quoi il peut aider.

ÉTAPE 1 OK

Débuter sa longue explication en suivant son petit bout de papier soigneusement préparé pour ne rien oublier. Et là, entendre " Vous vous séparez ? Mais c'est pas bien ça ! Il n'y a pas moyen de se réconcilier quand même ?"

ÉTAPE 2 COMPROMISE

Perdre le fil de son petit papier et bafouiller : 
"Heu non pas vraiment... Je vous appelle pour...
- Et vous revoir pour manger un kébab ? Il n'y a vraiment plus d'espoir, c'est fini, fini ?"
Arrêter toute forme de pensée consciente quelques instants sur la possibilité de manger un kébab avec l'homme aux chaussures rouges et éclater d'un rire aussi pathétique qu'intérieur. Revenir au moment présent et faire un choix : ne pas dire ce que l'on pense de ces conneries, prendre sur soi parce que notre mission est simple : remplir cette saloperie de déclaration. L'éducation des connards ce sera pour demain... Reprendre donc :
"Oui oui c'est fini fini. Justement, comme je n'ai jamais rempli de déclaration seule, j'aimerais savoir comment ça se passe.
- Ha ben ça c'est bien les femmes ! Laisser ce genre de choses à l'homme et quand on doit s'en occuper y a plus personne !

ÉTAPE 2 SÉRIEUSEMENT COMPROMISE

Répliquer par un cinglant :
- Bon écoute espèce de sombre merde, quand on doit faire la lessive, la vaisselle, le ménage, aller chercher les mômes à l'école, leur acheter des vêtements, des chaussures, des fournitures scolaires, des cadeaux d'anniversaire, de Noël, la même pour les camarades d'école, faire le gâteau pour la kermesse, payer la cantine, le centre aéré, les cours de musique, la crèche, les cours de natation, le stage de voile, assister aux concerts de chorale, aux spectacles de fin d'année à l'école en faisant semblant d'aimer ça, s'assurer des paiements du gaz, de l'électricité, des charges de copro, de l'entretien de la chaudière, des multiples abonnements TV, internet, téléphone, booker la baby sitter, les vacances, faire des kilomètres en bus, trottinette, métro, voiture scooter et autres putain de milliards de choses en plus de bosser, je ne sais pas comment te dire résidu de balai à chiottes, que ça c'est bien les hommes mais il n'y a jamais personne. Alors tu fermes ton dégueuli à préjugés misogynes et tu réponds sans commentaire à mes questions comme c'est je crois ton travail."
Mais en fait non. Parce que malgré notre volonté à s'affirmer on reste coi devant autant de stupidité. Opposer la fin aux moyens et répondre: 
" Oui on peut dire ça... - s'en vouloir à mort de cette réponse.
- Alors on va faire en sorte de faire quelque chose pour vous."

ÉTAPE 2 EN COURS DE RÉTABLISSEMENT

Laisser le paon à l'autre bout du fil nous "sauver la vie" et recueillir les informations précieuses : son numéro fiscal, les éléments de la déclaration pré-remplie... Quand soudain :
" Ah parce qu'en plus vous avez 2 enfants ? Et vous les laissez comme ça ? Quel âge ?
- 4 et 10 ans.
- Ca c'est pas bien, pas bien du tout !"
Hurler en silence mais de tout son être : " DE QUEL DROIT TU ME JUGES ??? JE TE HAIS, LE MEC DES IMPÔTS ! JE TE HAIS TOI ET TOUS CEUX QUI SAVENT MIEUX QUE MOI COMMENT VIVRE MA VIE, ALORS TA GUEULE ! VAS-TU ENFIN FERMER TA GUEULE ?"
- Justement, au niveau des réductions d'impôts pour les frais de garde, je mets le montant dans quelle case ? Parce que je ne voudrais pas me tromper."
Continuer coûte que coûte au lieu de l'insulter. Surtout si proche du but.

ÉTAPE 2 PRESQUE ACHEVÉE 

Rester calme. Noter la fin des informations nécessaires. S'assurer que tout ce qui a été noté sur le bout de papier est rayé. Lancer l'impression des formulaires. Souffler.

ÉTAPE 2 OK

Dire merci - mais quelle conne !!!! Et pour terminer en beauté l'appel, ne rien dire d'autre qu'au revoir quand le connard a l'outrecuidance après ses propos de nous draguer sans vergogne. Se sentir limite minable après avoir raccroché. Ranger ses papiers et reprendre le cours de sa vie comme on l'entend.



lundi 13 avril 2015

MON EPARGNE SALARIALE



Recevoir un courrier de Natixis Interépargne informant que le montant net de sa participation 2014 s'élève à 428.34 euros. Penser "chouette, ça va payer mes vacances en Avignon". Vaguement se rappeler que dans sa grande opération "tri de sa paperasse, no more procrastination" on a vu un papier similaire. Le retrouver. Se dire que l'opération est un franc succès. Lire les papiers. Télécharger l'application mobile Mon Épargne Salariale comme conseillé sur le dernier courrier.  Se rendre compte que l'épargne 2013 a été investie par défaut dans "Avenir Monétaire" - le fond pépère : sans risque et aux gains ridicules - suite à l'oubli de répondre. Apprendre que nos 107.98 euros de la participation 2013 s'élèvent aujourd'hui à 108.01 euros. Considérer ironiquement que 3 centimes l'année est un putain de rendement. Etudier les différents fonds. Se sentir ouf' déglingo et transférer ses 108.01 euros du fond pépère au fond "Avenir Équilibre", le moyen risqué : on gagne moyen ou on perd moyen. Après quelques secondes d'excitation, revenir à ses moutons et chercher sa participation 2014 dans le menu de l'application. Avoir envie de placer la moitié dans le fond "Avenir Dynamique", le méga risqué. Ou pourquoi pas dans "Impact ISR Rendement Solidaire" histoire d'avoir bonne conscience. Se dire qu'ils sont forts chez Natixis : employer le mot solidaire alors que ce sont des acteurs de la spéculation financière qui ruinent le monde. S'appesantir quelques instants et appeler le 02 31 07 74 00, saisir son numéro d'entreprise et son code serveur, voyager dans les méandres d'une boîte vocale à choix multiples pour essayer de parler à un téléconseiller et ainsi savoir pourquoi la participation 2014 n'apparaît pas dans l'application mobile. Ne pas réussir car "tous nos téléconseillers sont actuellement en ligne, merci de renouveler votre appel". Raccrocher. Réfléchir encore à épargner ou non ses 428.34 euros. Perdre son précieux temps à hésiter entre équilibre, dynamique ou solidaire. Pas avec monétaire puisqu'on se sent aventureuse. Réaliser que de toute façon la manipulation est impossible. Remettre à plus tard. Etre persuadée que ses 428.34 euros seront versés sur le fond pépère pourri parce qu'on aura préféré vaquer plutôt que de s'occuper de ça. Pousser le vice à calculer qu'on gagnera autour de 12 centimes en un an. Soupirer et continuer à vivre.

vendredi 10 avril 2015

L'HOMME DU BOULEVARD



Tous les matins, il y a un homme qui croise mon chemin. Je presse ou non mon pas selon sa position sur le boulevard. Au croisement Michelet-Voltaire, je peux tranquillement continuer ma route jusqu'à la Porte de Clignancourt. Vers le café des amis, je suis bien, à l'heure, pile. A la poste, je sais que je suis déjà en retard. Mais s'il est la mesure de mon temps - humaine plutôt qu'à quartz - il est surtout empli d'un mystère. Cet homme a des traces de fard et de rouge. Et tous les matins, le temps d'arriver au métro, j'imagine sa vie. Et parfois même plus.

Hypothèse numéro 1 : Il est albinos. Il se maquille, se teint les cheveux et porte des lentilles pour paraître "normal". Le lendemain je regarde ses mains et n'y vois pas de traces de maquillage. L'hypothèse numéro 1 est donc incorrecte. A moins que son albinisme ne touche que son visage ? Ah... Le surlendemain, je me retourne, le suis quelques mètres pour observer sa chevelure et constate qu'il est méché, la base est bien châtain. Y a-t-il des formes du syndrome ne touchant que la peau ? Serais-je en présence d'un cas hyper rare ? J'ai tendance à croire ma vie intéressante, mais là il ne faudrait pas la présumer extraordinaire.

Hypothèse numéro 2 : Il n'est pas maquillé mais mal démaquillé. La nuit il se maquille parce qu'il est transformiste. Il a un numéro spécial chanteuses décédées avec  Edith Piaf le mardi, Marilyn Monroe le mercredi - comme il ne parle pas bien anglais celle-ci est difficile pour lui, mais il s'accroche par respect pour l'icône disparue - Barbara le jeudi, Dalida le vendredi et le samedi - sa meilleure prestation - relâche le dimanche et le lundi. L'hypothèse numéro 2 est bien trop convenue. Je ne la retiens pas.

Hypothèse numéro 3 : C'est un vampire repenti qui se maquille pour vivre au milieu des humains. Las de son destin, il souhaite se confronter à la condition humaine : se lever pour aller travailler, gagner un salaire minable pour payer le loyer d'un appartement trop petit, ne sortir que pour faire ses courses et se nourrir de viande rouge dégueulasse. Cela fait des années qu'il n'a pas pris un vrai repas. Son défaut : la philantropie. Quelle ambition médiocre pour un vampire.

Hypothèse numéro 4 : Il se maquille parce qu'il aime ça. Point. Tous les jours il passe près d'une heure à se farder, se faire resplendissant. Il se regarde et s'aime avec sa cosmétique. Il se sent bien, accompli. Vient le moment de partir pour les ateliers de Saint Ouen. Il travaille à la SNCF. Il met sa parka siglée à la société ferroviaire. Et puis comme chaque matin, au moment de quitter son appartement, il revient à son miroir pour ôter son maquillage. Il devient alors ce quelqu'un d'autre qu'il n'est pas. Celui qui convient au regard des autres, mais pas au sien. Il ne croisera pas de miroir de la journée pour ne pas avoir à se détester, lui et sa lâcheté de ne pas s'affirmer tel qu'il est aux yeux du monde. Au moins à ceux de ses collègues, de ses amis, de ses parents, de sa femme, de ses enfants. J'aime bien cette hypothèse, bien qu'elle soit triste. Et pourtant j'aime à croire que les traces qui demeurent sur son visage sont les preuves de sa volonté de ne plus se cacher. Et qu'un matin d'été je verrais l'homme du boulevard Michelet tel qu'il est vraiment. Magistral et fier.

lundi 6 avril 2015

PETITS BONHEURS DU QUOTIDIEN N°21


Revoir son film d'enfance préféré au cinéma avec ses enfants.