
La trappe se referme et j'ai un peu mal.
Je regarde ma main et il y a un truc qui cloche, qui cloche sérieusement. Mon fuck finger est bien plus grand, fier de s'élever plus haut. Mais il triche, le bougre ! Ce sont mon index et mon annulaire qui se sont raccourcis dans un instant sanglant.
Je hurle, un hurlement interminable comme pour clamer que cela ne peut pas m'arriver. Et comme je suis désormais plusieurs, une autre moi crie "ouvre", "ouvre", "ouvre"... L'Homme aux chaussures rouges soulève la trappe et je me soustrais de la cave. Je vois sur le carrelage ce qui était de moi, à moi, moi. Ces deux bouts, pas gros, comme des berlingots qui me sont, j'en suis convaincue, à jamais arrachés.
"Ouvre... Ramasse mes doigts, ramasse mes doigts, ouvre... Ramasse mes doigts...
- Elle a juste deux bouts d'doigts en moins alors dépêchez-vous !
- Ramasse mes doigts... Ouvre...
- Non elle est consciente. C'est ma femme...
- Ramasse mes doigts, je t'en supplie ramasse mes doigts, je t'en supplie ramasse mes doigts...
- Merci... Mais Putain !!! Pourquoi tu ne m'as pas attendu ???
- Ramasse mes doigts..."
Il faut mettre les segments dans un plastique, lui-même placé dans un second plastique rempli de glace. Les segments ne doivent pas être en contact direct avec la glace. J'ai visionné beaucoup de reportages médicaux.
L'Homme aux chaussures rouges m'a laissée seule pour accueillir les pompiers. J'entends le hurlement silencieux de celle que j'ai laissée dans la cave, celle que je ne serais plus. J'attends que l'on m'emmène, allongée sur le carrelage gelé de la cuisine, je serre fort mon petit sachet en plastique mouillé.
Mon transfert vers la nouvelle moi est très solennel, il y a plein d'invités : huit pompiers classieux en uniforme, un médecin, une infirmière, un ambulancier, un voisin pianiste et l'Homme aux chaussures rouges. On me dépose sur un lit blanc qui semble voler jusqu'à la voiture blanche, elle aussi, et lumineuse. Grande cérémonie, grand bruit de sirènes, des motards de la police nationale se joignent à nous pour ouvrir le convoi sur la rocade parisienne. La fête bat son plein, drogue opiacée à volonté... Mais je ne peux empêcher mes larmes de couler en pensant à celle que tous, moi y compris, ont laissée dans l'obscurité de la cave audonienne...
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